mercredi, janvier 31, 2007

La Vierge Marie dans l'Histoire de France - Chapitre VII - (3)

Quant au Mont Saint Michel, sans doute ce pèlerinage est spécialement consacré au Grand Archange, qui est le protecteur attitré de la France et de nos Rois et en quelque sorte leur ange gardien (14), mais le Prince des Milices Célestes - lors de l'épreuve imposée par Dieu aux Anges - ayant été le premier à reconnaître et à proclamer la Royauté de Marie et à entraîner les bons anges à son service, et s'étant ainsi constitué son premier Chevalier, il est normal que Marie aime d'une particulière dilection tout ce qui touche à la gloire de Saint Michel et veuille en rehausser l'éclat. C'est ce que la Reine du Ciel tint à faire dans le sanctuaire de l'Archange au Mont Tombe. La tradition rapporte en effet que souvent les anges apparaissaient dans la basilique - à tel point que le Monastère fut appelé pour cette raison "le palais de Anges" et que Marie aimait à se joindre à eux pour y chanter les louanges du Très-Haut; et quand, en 1118, la foudre incendia l'église, dans l'embrassement général, seul l'image de Marie demeura intacte. Ajoutons que la célèbre abbaye possédait d'insignes reliques de la Vierge que les foules venaient vénérer: des cheveux et queques fragments de sa tunique et de son voile. (15).

Le culte de Marie avait pénétré la vie même des institutions et de toutes les classes de la société: le Cardinal Thomas disait avec raison: "Le chaste culte de Marie inspira toujours la chevalerie française et créa parmi nous des traditions de loyauté, de courtoisie et d'honneur qui ont survécu à toutes les défaillances, et sont encore à l'heure présente la plus belle parure de notre civilisation." C'était devant l'autel de la Vierge que les futurs chevaliers passaient la veillée des armes parce que Marie était la plus pure et la plus noble expression de leur idéal.
Quant aux classes laborieuses, réunies dans leurs corporations, elles avaient à coeur de les consacrer à Marie ou tout au moins de constituer des confréries en son honneur (16).

Ce tableau serait incomplet si on ne parlait pas de l'une des preuves les plus éclatantes de l'intensité de l'amour de la France tout entière pour Marie et de sa confiance en Elle: de toutes parts, églises, abbayes, monastères, chapelles surgissent sous le vocable de la Reine du Ciel, à tel point qu'au dire de quelques historiens, c'est à un édifice dédié à la Vierge que plusieurs milliers de villes ou de communes de notre pays doivent leurs existence. C'est l'amour de Marie qui inspira la construction de nos magnifiques cathédrales - les plus belles du monde incontestablement, car en elles seulement on sent une âme qui vibre intensément - admirables symboles de la foi et de la prière qui s'élancent toujours plus haut vers le ciel. L'enthousiasme que suscitait le culte der Marie en France était tel, dans toutes les classes de la population qu'on vit les scènes les plus touchantes et les plus édifiantes se produire à l'occasion de ces constructions qui incarnent très véritablement l'âme de la nation toute entière. Aucun sacrifice, aucune privation, aucune peine n'étaient considérés comme trop grands pour élever à Marie des temples dignes de la Reine du Ciel, de la Mère de Dieu, de celle que dès ce moment on considérait comme la Souveraine de notre Patrie. Les scènes suivantes décrites par les contemporains en sont la preuve combien éloquente et émouvante. L'archevêque de Rouen, Hugues, écrit à Théodoric, évêque d'Amiens:

"Les oeuvres de Dieu son grandes et toujours proportionnées à ses volontés! C'est à Chartres que des hommes commencèrent à traîner des chariots et des voitures pour élever une église, et que leur humilité fit jaillir des miracles. Le bruit de ces merveilles s'est répandu de toutes parts, et enfin a réveillé notre Normandie de son engourdissement. Nos fidèles, après avoir demandé notre bénédiction, ont voulu se rendre en ces lieux (Chartres) et accomplir leurs voeux; puis sont revenus, à travers notre diocèse et dans le même ordre, retrouver l'église de notre évêché, leur mère; bien résolus à n'admettre dans leur société personne qui n'eut auparavant confessé ses péchés et fait pénitence, qui n'eut déposé toute haine et tout mauvais vouloir, qui ne fut rentré en paix et en sincère concorde avec ses ennemis. Avec de semblables résolution, l'un d'eux est nommé chef; et, sous son commandement, tous humbelement et en silence s'attèlent à des chariots, offrent des aumônes, s'imposent des privations et versent des larmes... Ainsi disposés, ils sont témoins en tous temps, mais surtout dans nos églises, de nombreux miracles opérés sur les malades qu'ils conduisent avec eux, et ils ramènent guéris ceux qu'ils avaient amenés infirmes". (17).

Robert du Mont, autre contemporain, parle de même:

"Ce fut à Chartres que l'on vit pour la première fois des hommes traîner, à force de bras, des chariots chargés de pierres, de bois, de vivres et de toutes les provisions nécessaires aux travaux de l'église dont on élevait les tours. Qui n'a pas vu ces merveilles n'en verra jamais de semblables, non seulement ici, mais dans la Normandie, dans toute la France et dans beaucoup d'autres pays. Partout l'humilité et la douleur, partout le repentir de ses fautes et l'oubli des injures, partout les gémissements et les larmes. On peut voir des hommes, des femmes, même, se traîner sur les genoux à traves les marais fangeux et se frapper durement la poitrine en demandant grâce au ciel, tout cela en présence de nombreux miracles qui suscitent des chants et des cris de joie".
Dans son "Histoire des Miracles qui se sont faits par l'entremise de la Sainte Vierge en 1140" l'abbé Haymon, témoin des faits, les raconte ainsi avec une couleur et une vérité qui les font, en quelque sorte, revivre à nos yeux:
"Qui n'a jamais vu des princes, des seigneurs puissants de ce siècle, des hommes d'armes et des femmes délicates, plier leur cou sous le joug auquel ils se laissent attacher comme des bêtes de somme, pour charrier de lourds fardeaux? On les rencontre par milliers traînant parfois une seule machine, tellement elle est pesante, et transportant à une grande distance du froment, du vin, de l'huile, de la chaux, des pierres et autres matériaux pour les ouvriers. Rien ne les arrête ni monts, ni vaux, ni même rivières; ils les traversent comme autrefois le peuple de Dieu. Mais la merveille est que ces troupes innombrables marchent sans désordre et sans bruit... leurs voix ne se font entendre qu'au signal donné: alors ils chantent des cantiques ou implorent Marie pour leurs péchés... Arrivés à leurs destinations, les confrères environnent l'église; ils se tiennent autour de leurs chars comme des soldats dans leur camp. A la nuit tombante, on allume des cierges, on entonne la prière, on porte l'offrande sur les reliques sacrées; puis les prêtres, les clercs, et le peuple fidèle s'en retournent avec grande édification, chacun dans son foyer, marchant avec ordre, en psalmodiant et priant pour les malades et les affligés". (18).
Oui, vraiment, la construction de nos magnifiques cathédrales (19), a été le plus éclatant témoignage de filiale tendresse de notre peuple pour Marie et comme le plébiscite par lequel il L'a reconnue comme sa Reine, comme la Dame de toutes ses amours. Si les Grecs l'appellent Panagia, ou la Toute Sainte, les Italiens la nomment la Madone, ... la France lui a donné le beau et expressif nom de NOTRE-DAME, c'est-à-dire "Souveraine". (20).
"Notre Dame, nom évocateur, du plus beau Moyen Age, de la Chevalerie, des Croisades. Notre Dame! nom touchant plein de piété, d'amour, et de respect, le plus beau dont on ait désigné la Vierge! C'est la France qui l'a trouvé". (21).
On comprend, dès lors, que le Pape Urbain II, venant prêcher la première Croisade et traversant la France, y ait admiré la multitude extraordinaire des églises et des chapelles, des abbayes et monastères consacrés à Marie et plein d'émotion se soit écrié, sans crainte de se tromper: "REGNUM GALLIAE, REGNUM MARIAE, NUNQUAM PERIBIT!" Le Royaume de France st le Royaume de Marie, IL NE PERIRA JAMAIS!
On conçoit que, devant de pareils actes de confiance et de foi totale, absolue, Marie ait accordé d'innombrables miracles. Mais la société tout entière ayant manifesté sa foi d'une manière aussi édifiante, la Vierge se devait de récompenser magnifiquement ces témoignages d'amour non seulement par des grâces individuelles de conversions et de guérisons, mais encore par une royale bénédiction pour la Société tout entière. Cette royale récompense, ce sourire radieux de Marie fut le règne se Saint Louis.


(1) Hamon - op. cit. I, 244 et 245.
(2) Voir la note spéciale concernant le culte de la maison de Lorraine, au chapitre XVI, note 11, ainsi que ce qui en est dit aux chapitres XI et XII.
(3) Dom Bouquet, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, XI 433 D.
Antoine Le Roy, chanoine et archidiacre de Boulogne écrit dans "La Vierge Miraculeuse de Boulogne" (1682):
"L'an 633 ou 636, sous le règne du Roy Dogobert est arrivé au port de Boulogne un vaisseau sans matelots et sans rames, que la mer, par un calme extraordinaire semblait vouloir respecter. Une lumière qui brillait sur ce vaisseau fut comme le signal qui fit accourir plusieurs personnes pour voir ce qu'il contenait. On y vit l'image de la Sainte Vierge faite en bois en relief, d'une excellente sculpture d'environ trois pieds et demie de hauteur, tenant Jésus Enfant sur son bras gauche. L'image avait sur le visage je ne sais quoi de majestueux et de divin qui semblait d'un côté réprimer l'insolence des vagues et d'un autre solliciter sensiblement les hommes à lui rendre leur vénération.
Les fidèles étaient dans une chapelle de la ville haute à faire les prières accoutumées, et y virent la Sainte Vierge qui les avertit que les anges, par un ordre secret de la Providence, avaient conduit un vaisseau sur leur rade, où l'on trouverait son Image.
Elle leur ordonna de l'aller prendre et de la placer ensuite dans cette chapelle comme étant le lieu qu'elle s'était choisi et destiné pour y recevoir à perpétuité les effets et les témoignages d'un culte particulier.
Le bruit s'en répandait aussitôt et le peuple descendit en foule sur le rivage pour y recevoir ce sacré dépôt et ce riche monument de la libéralité divine qui fut solennellement porté dans l'église.
Cette statue a dû être faite par Saint-Luc, comme celle de Lorette, semblable en sa grandeur et en sa nature qui est d'une espèce de bois incorruptible. Il avait une grâce particulière pour pouvoir représenter au naturel la figure de la Sainte Vierge à laquelle il était très affectionné. Il en a fait diverses images; tant en relief qu'en peinture que Dieu a rendues recommandables par un grand nombre de miracles.
Cette statue peut venir de l'Orient, d'Antioche, de Jérusalem par l'invasion des Sarrasins comme si Dieu, dans ces temps où les barbares s'emparaient de la Terre Sainte, aurait voulu que l'image de sa Sainte Mère, chassée de Palestine trouvât son asile justement dans une ville qui devait un jour donner la naissance à l'invincible Godefroy de Bouillon, ce grand restaurateur de son saint Nom dans les Pays du Levant.
Outre les anciennes généalogies des Comtes de Boulogne qui nous parlent de l'arrivée et de la réception de notre Sainte Image, toute l'Histoire en était autrefois décrite dans les vieilles tapisseries qui servaient à l'Eglise avec certaines rimes du temps, au bas de chaque pièce d'où l'on a tiré entre autres ces quatre vers qui ont longtemps servi de frontispice à la principale porte de l'Eglise cathédrale:

"Comme la Vierge à Boulogne arriva
Dans un bateau que la mer apporta
En l'an de grâce ainsi que l'on comptât
Pour lors, au vray six cens et trente trois."

La gravure de la première page de ce livre représente une barque avec un ange à chacune des deux extrémités, regardant la Sainte Vierge, de grandeur naturelle, assise au milieu, face au public. Son bras gauche porte l'Enfant Jésus ayant Lui aussi une couronne sur la tête; sa main droite tient un "coeur": celui offert par Louis XI. Au bas est écrit:

"Voyez-vous ce vaisseau qui cingle en mer
Jamais celui d'Argos en scaurait approcher
Aussy le Sainct Espirt luy servait de nocher
Les anges de ramer et la Vierge d'estoiler."

Un Historien ancien ajoute à propos de la fondation de Notre-Dame de Boulogne:
"Une belle église fut construite par Sainte Ide, Comtesse de Boulogne, pour remplacer l'ancienne. Son fils, Godefroy de Bouillon, proclamé Roi de Jérusalem, refusa de porter une couronne d'or, là où Notre-Seigneur avait été couronné d'épines, et envoya au Sanctuaire de Boulogne celle qui lui avait été offerte."
De nombreux pèlerinages se succédaient à Boulogne, venant de tous pays. De nombreux Souverains, des saints y vinrent prier aux pieds de la Vierge miraculeuse. Charles VII, avant son Sacre, fit don à N.-D. de Boulogne d'une grande statue de vermeil avec une couronne de pierres précieuses. Louis XI lui fit don du Combé de Boulogne. (Voir p. 118).

(4) Dom Bouquet, id. Index, XI, 70 - XI, 360 C - XI, 52 B, 168 E, 209 D. 238 D - XIII 253 D.
(5) J. L. "Vierges Gasconnes. Les sanctuaires en renom du Diocèse d'Auch" - 1909. On en compte actuellement plus de vingt.
(6) Hamon, op. cit., II 6.
(7) Dom Bouquet, op. cit., X 570.
(8) Hamon, op. cit., II, 35 à 40.
(9) M. Vloberg: Vers les Notre-Dame (Messager de la Très Sainte Vierge, numéro mai-juin 1936, p. 114).
(10) Sur l'Histoire et les origines du pèlerinage de N.-D de Chartres, voir:
Mgr Harscouët, Evêque de Chartres: "Chartres", Collection les Pèlerinages.
Abbé Hénault: "Origines Chrétiennes de la Gaule Celtique".
La dévotion des Princes de France à N.-D. de Chartres était intense, témoin celle de Louis de Bourbon, Comte de Vendôme, qui délivré de la captivité dont il était l'objet de la part de son frère Jacques, y vint accompagné de cent chevaliers, tous ayant un cierge à la main, pieds nus et déclara devant l'image de N.-D. qu'il voulait être l'homme de Marie et de la cathédrale de Chartres et il fit construire dans la cathédrale la chapelle dite aujourd'hui des martyrs parce qu'on y a déposé les reliques soustraites aux profanations de 1793. (Hamon, I, 223 et 224).
(11) de la Franquerie: La Mission divine de la France - le chapitre sur le Sacre des Rois de France, p. 50 à 66 et celui sur les miracles des Rois de France, la guérison des écrouelles, de p. 67 à 73.
(12) Dom Bouquet: op. cit. et notamment VIII, 189 C et 213 A et B.
(13) Hamon, id. II, 233 et 252. - Pour les pèlerinages de Chartres, du Puy, de Rocamadour, Liesse, etc...., consulter Hamon, op. cit. et la collection des Grands Pèlerinages, chez Letouzey à Paris, etc....
(14) "Documents nouveaux sur Rocamadour", par Ludovic de Valon, 1928.
"Du nouveau dans la Chanson de Roland", par P. Boissonnade.
"España Sagrada" par Florez, Risco et l'Académie d'Histoire de Madrid, vol. 50, page 358, etc....
Les ouvrages du Chanoine Albe sur Rocamadour.
(15) Voir: de la Franquerie: Mémoire pour servir au renouvellement de la consécration de la France à Saint Michel - Préface de Mgr de la Villerabel, Evêque d'Annecy.
(16) Chronique du Mont-Saint-Michel, écrite au XIe siècle - Archives d'Avranches.
(17) Voir Hamon: op. cit., V, 213, sur les diverses corporations intellectuelles et ouvrières consacrées à Marie dans le Diocèse de Bayeux.
Cette tradition demeura jusqu'à la Révolution, on en trouve un exemple frappant dans la charte de la Corporation des "Compagnons menuisiers de la Ville et Faubourg de Dijon", datée du 25 août 1667, dont les deux premiers mots sont "Jésus-Maria". Ils voulaient ainsi placer sous la protection et sous l'inspiration de Jésus et de Marie leur famille, leur profession, leurs conventions, leur travail, etc... émouvante confiance, génératrice de la plus belle valeur morale et professionnelle et des plus beaux chefs-d'oeuvre car à l'âme noble la grandeur de l'inspiration est naturelle. (Voir Henri Crépin "La liberté de travail dans l'Ancienne France", p. 121, 1937, à Vezelay (Yonne).
(18) Hamon, id. I, 196.
(19) Mabillon: Annales de Saint Benoît, tome VI.
(20) Nul peuple n'a sculpté plus beau poème de pierre à la gloire de Marie, non seulement dans l'art architectural, mais aussi dans celui de la statuaire, car chacune de nos basiliques, chacune de nos cathédrales et combien de nos modestes églises ou chapelles de villages sont peuplées de multiples statues - aussi belles dans leur inspiration que dans leur exécution - qui enseignent au peuple de chez nous les scènes principales de la Vie de la Vierge: sa naissance, sa présentation au Temple, son mariage, et la touchante nativité de Bethléem, et les douleurs de Marie au pied de la Croix, et sa mort, et son Assomption et son couronnement au Ciel, où Elle trône en majesté.
Si la peinture française est moins développée qu'en Italie et en Allemagne - encore que sur ce point notre Pays ait depuis le XVe siècle pris une place de tout premier plan - c'est qu'en France nos artistes se consacraient à des chefs-d'oeuvre inégalés: les admirables verrières de nos cathédrales et les magnifiques vitraux de tant de nos églises; les innombrables livres d'heures et manuscrits du Moyen Age et de la Renaissance où nos miniaturistes ont enluminé tant d'admirables scènes à la gloire de Marie. Dans ce domaine, la France ne le cède à aucun pays.
(21) Abbé Duhaut: Marie Protectrice de la France, p. 81.
(22) Jeanne Durand: Les Vierges noires. (Almanach Catholique français, 1923, p. 269).

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