mardi, janvier 16, 2007

Lettre de Marie Mesmin à M. Ollagnier, adressée le 24 mai 1915

Que Jésus, Marie et Joseph soient aimés de tous les coeurs. Je suis la servante du Seigneur.

Cher Monsieur,
Je ne puis que vous approuver d'avoir pris la défense de notre Bonne Mère du Ciel, de celle qui ne cesse de nous combler de ses bienfaits, de nous suivre pas à pas sur cette terre d'exil, essayant de nous retenir sur la pente glissante, où tant d'âmes ne craignent pas de s'engager.
Ah! qui pourrait jamais comprendre la grandeur de la bonté maternelle de Notre Souveraine, de Celle qui, du haut de la Croix, nous fut donnée pour Mère par son Divin Fils, et c'est cette Mère et Souveraine que nous ne semblons connaître que pour la payer de mépris et d'ingratitude.
Le monde, malgré les avertissements qui lui sont donnés depuis plus d'un demi-siècle, continue de se livrer aux plaisirs et aux jouissances. L'amour du bien-être et l'orgueil dominent partout, et de cet orgueil s'est engendré l'endurcissement du coeur, l'aveuglement de l'esprit. La terre est, pour ainsi dire, dévorée par la lèpre de tous les vices. Faut-il, après cela, s'étonner de l'incrédulité persistante d'un grand nombre d'âmes, malgré les épreuves qui nous accablent?
Oserai-je vous inviter, cher Monsieur, à suivre la marche de notre Divine Mère à partir du jour où Elle daigna descendre des hauteurs du Ciel pour venir s'asseoir et pleurer sur la montagne de La Salette? Ce jour-là, la Très Sainte Vierge commençait un pèlerinage sur la terre, pèlerinage mille fois plus douloureux que celui du Calvaire, car en gravissant celui-ci, Elle suivait les pas de notre doux Sauveur, de celui qui allait donner sa vie pour racheter le monde.
A La Salette, la Très Sainte Vierge vient à son tour essayer de sauver ses enfants, non pas en offrant sa vie, mais en leur montrant leurs égarements, en leur rappelant leurs devoirs, en leur dictant ce qu'ils doivent faire pour éviter les châtiments, les fléaux si terribles qui menacent de les accabler, de les anéantir, s'ils ne veulent revenir à Dieu. En vain notre Bonne Mère nous dit: "Pénitence, ou vous périrez tous". Ses avertissements ne sont pas compris, ou ils sont méprisés, ses larmes semblent tomber sur une terre ingrate et desséchée, nos coeurs sont insensibles, nos âmes sont aveuglées et le monde persiste dans ses égarements; il fait plus, le mal grandit. C'est alors que la Très Sainte Vierge qui est mère avant tout, nous voyant toujours descendre cette pente rapide du mal, descend avec nous et cherche encore à sauver ses enfants.
Du haut de la Montagne si élevée de La Salette, où en vain elle a essayé de donner ses paroles et de se faire entendre du monde entier, la Très Sainte Vierge descend et vient à Lourdes. Là, elle redit le mot "Pénitence" trois fois. Puis, voulant à tout prix guérir nos âmes, mais nous voyant si matériels, si aveuglés, au point de ne plus comprendre le Surnaturel que pour le rejeter, Notre Bonne et Divine Mère se sert comme d'un stratagème pour nous attirer à Elle, et par Elle, à son Divin Fils. A Lourdes, la Très Sainte Vierge fait jaillir une source. Elle appelle les foules du monde entier pour boire cette eau vivifiante qui pourra guérir les âmes et les corps. L'univers entier répond à cet appel divin. Les foules accourent, non pas seules, mais accompagnées de leurs pasteurs: cardinaux, évêques et prêtres ne dédaignent pas de venir prier les bras en croix, de baiser la terre de ce sol béni et de demander à grands cris la guérison des malades. La Très Sainte Vierge tient ses promesses, nous donne d'éclatants miracles et guérit des milliers d'affligés, mais le monde, lui, ne tient pas ses engagements, les âmes ne se convertissent pas. L'Eglise continue de souffrir de persécution: c'est la séparation, le vol odieux, nos morts eux-mêmes sont dépossédés, les religieux et religieuses sont expulsés; on enlève des hôpitaux ces soeurs si dévouées qui pansaient les blessures de l'âme et du corps et préparaient les moribonds à ce terrible passage dans l'au-delà. Dieu est chassé de partout: des armées, prétoires, hôpitaux, écoles, où nos enfants sont élevés sans aucun principe de notre sainte religion et, en grandissant, forment des familles athées.
La Très Sainte Vierge n'a-t-elle pas raison de se plaindre de n'être plus connue et aimée des enfants comme autrefois, et de gémir en parlant des âmes du purgatoire, en disant: "jamais tant d'âmes n'ont été délaissées, jamais plus d'âmes ne seront tombées dans le lieu de l'expiation sans le moindre secours. Leurs gémissements ne sont jamais montés plus haut vers la terre inutilement, le monde reste sourd à tant d'appels".
Est-ce là tout le mal? Non, les exactions de toute nature continuent! Non seulement les croix sont brisées, foulées aux pieds, Notre Seigneur est doublement fait prisonnier dans nos églises; c'est l'abomination dans le lieu saint. Notre Seigneur n'a plus le droit de franchir le portail de nos temples sacrés pour nous bénir et bénir nos foyers; les processions où le Très Saint Sacrement était triomphalement porté, sont supprimées. C'est journellement la destruction partielle qui tend à une destruction générale de tout ce qui touche à notre Sainte Religion.
Ai-je besoin, cher Monsieur, de vous faire remarquer que la marche des âmes est plus que descendante; elles ne glissent plus seulement sur la pente du mal, elles courent rapidement vers le gouffre de leur perdition. La Très Sainte Vierge est toujours là, elle nous guette, pour ainsi dire, comme une mère qui veille son enfant égaré, et vers ce gouffre béant, où la vie mondaine nous entraîne et où les iniquités vont nous plonger, elle descend avec nous et arrive dans la plaine. La Très Sainte Vierge vint à Bordeaux et dit ceci. "On m'a chassée de La Salette, je viens pleurer à Bordeaux; c'est ici que je pose une dernière fois les pieds, car les châtiments sont à votre porte". Dans cette plaine, la Très Sainte Vierge verse d'abondantes larmes, et cela pendant plusieurs années. Elle annonce une terrible guerre qui ne ressemblera pas aux précédentes, si le monde ne veut pas revenir à son Divin Fils. Ce sera, dit-eille "une guerre de massacres", et aujourd'hui tout se vérifie, tout s'accomplit. Dans cette plaine arrosée des larmes de la Reine du Ciel, on se bat, on se massacre; non seulement le sol est baigné de nos larmes, il y coule des ruisseaux de sang.
A Bordeaux, la Très Sainte Vierge ne dit pas le mot "Pénitence" une fois comme à La Salette, trois fois comme à Lourdes, mais elle le redit cinq fois, demande non seulement le chapelet, le Rosaire chaque jour, mais plusieurs Rosaires chaque jour, si on le peut, car le mal va toujours grandissant. A Bordeaux, la Très Sainte Vierge ne fera pas jaillir une source visible pour guérir les malades, mais mille sources des eaux vives de la grâce y jailliront.
Le Reine du Ciel, après avoir pleuré pendant six années consécutives, prononce ces paroles: "Refugium peccatorum" et à Bordeaux, la Très Sainte Vierge appellera les foules du monde entier pour la réparation, pour la guérison, non seulement des corps, comme à Lourdes, mais surtout pour la guérison des âmes. Avec les épreuves, les calamités, les âmes s'épureront pour ainsi dire, et reviendront à Dieu; les esprits seront moins rebelles et commenceront à recouvrir la lumière. Tels les flots qui, battus par la tempête d'une mer orageuse, recouvrent, avec le calme, leur limpidité première, ainsi nos âmes, affligées, abattues, viendront se baigner dans la piscine des eaux salutaires de la pénitence pour s'y purifier. A Bordeaux, la Très Sainte Vierge se plaint que l'on ne prie pas assez pour les serviteurs de son Divin Fils qu'Elle aime tant, pour nos prêtres si persécutés: "Ah! si l'on connaissait, dit-elle formellement, la grandeur et la responsabilité du prêtre! Lui-même, s'il les voyait, n'en pourrait supporter la vue, il en mourrait. Prions donc pour eux afin de faciliter leur mission, d'alléger leur fardeau".
Ah! que n'ont pas fait nos évêques et nos prêtres pour la cause de Dieu, pour résister à ce courant de l'impiété, de la persécution, de ces oppositions infâmes. Les avons-nous soutenus comme nous le devions? Quelle n'est pas aussi notre responsabilité dans toutes les réformes qui se sont accomplies? Si nous n'avons pas agi, n'avons-nous pas laissé faire, et ne sommes-nous pas tous coupables? Le Congrès Eucharistique de Lourdes, si merveilleusement organisé, n'avait d'autre but que la réparation et d'obtenir à tout jamais l'éloignement des châtiments. Cette manifestation si grande n'a pas suffi, car ce que la Très Sainte Vierge demande et réclame depuis longtemps, ce sont des processions générales par toute la France. Prions, afin que notre nation puisse être délivrée du jourg de ses ennemis. Soulevons, non pas des ligues de prières, mais une armée qui, par ses supplications, aurait mille fois plus de force que toutes les armées du monde entier rangées en bataille. N'aurions-nous pas pitié de nos prêtres qui ont dû abandonner leurs paroisses et leurs églises? N'aurions-nous pas pitié de tant de religieux qui, après avoir été chassés, sont venus prendre rang au milieu de leurs frères, non seulement pour combattre et relever les courages, mais pour y donner l'exemple de tous les dévouements auprès des blessés et des mourants?
Que dire de nos chers soldats, de nos enfants? De ceux-là n'aurons-nous pas pitié non plus? N'aurons-nous pas pitié de nos époux, de nos frères, dont un si grand nombre déjà ont été fauchés, moissonnés au champ d'honneur? Ah! cher Monsieur, ne soyons plus lâches, l'heure n'est plus de dormir, il faut réveiller le monde et le sortir de sa torpeur. France, debout et prie! Tout le salut est là. Faisons prier nos petits enfants, qu'ils implorent pour nous la Reine du Ciel, la Mère des Douleurs, Celle qui a versé tant de larmes! Qu'ils demandent pour tous Pardon et Miséricorde! Que les voûtes sacrées de nos églises, de nos cathédrales retentissent enfin de cette suplication, du pardon qui ne veut point sortir de nos lèvres; et cependant, un père outragé, offensé, peut-il pardonner à un enfant ingrat, s'il ne revient s'incliner, s'humilier devant lui?
Prions enfin, pour que nos chers pasteurs, cardinaux, évêques et prêtres puissent bientôt réaliser ce désir de la Très Sainte Vierge, en rendant à Notre Seigneur non seulement la première place qui lui est due, mais la liberté. Qu'il soit délivré de la tyrannie des méchants et que, dans la France entière, nos statues soient sorties, nos bannières déployées pour faire escorte, avec tous les fidèles, au Très Saint Sacrement porté triomphalement dans toutes les rues de nos grandes cités, comme de celles de nos plus simples bourgades. Ce jour-là sera le prélude de la délivrance et, au nom de la Très Sainte Vierge, je ne crains pas de l'affirmer, nous irions de victoire en victoire et l'ennemi serait vite chassé! Pourrions-nous refuser de voir briller bien vite l'étoile de la victoire et de la délivrance? France, toi qui étais la fille aînée de l'Eglise, France tant aimée de la Reine du Ciel, refusera-tu plus longtemps de sécher ses larmes? Ne dit-on pas que les larmes, c'est le sang du coeur? N'est-ce pas comme le sang de Jésus qui coule abondamment des yeux de Notre Mère et serions-nous ingrats au point de n'en être pas touchés? Parle, O France, et debout, encore une fois, pour lever l'étendard du salut par la réparation, par le sacrifice et par la prière. Par cet acte éclatant et sublime où, courbant le front dans la poussière, nous rendrions au Christ-Roi, à Jésus-Hostie présent dans le Très Saint Sacrament, toutes les adorations et honneurs qui lui sont dus.
Seuls, nous sommes impuissants, mais par Marie notre Bonne Mère, par celle qui a tant pleuré sur nos misères, nous retournerons à Jésus si outragé. Nos âmes ne veulent plus descendre mais monter. Désormais, c'en est assez du terre à terre. Soutenus, comme par la main, par cette Mère si miséricordieuse, nous quitterons cette plaine de misères, témoins de tant de larmes et d'agonies, pour gravir la Montagne Sainte où notre Divine Mère du Ciel a pleuré pour la première fois; et là, à ses pieds, une fois encore, nous nous prosternerons le front dans la poussière, pour jeter ce cri: "Pardon, mon Dieu! Pardon pour la France!" Puis levant l'étendard de la France coupable mais repentante et purifiée, nous chanterons "Gloire à Dieu au plus haut des Cieux! Gloire, amour, louanges à Marie, notre Mère, notre Libératrice, notre Souveraine à toujours, à jamais!
Voilà, cher Monsieur, ce qu'une petite servante de Marie voulait vous dire depuis longtemps. Je sais que je n'ai pas besoin d'activer votre zèle pour faire connaître cette Mère bien-aimée qui a tant pleuré ici. Pourriez-vous lui refuser de travailler pour elle, d'être son serviteur, son esclave le plus fidèle, Elle qui ne cesse de vous combler de tant de bienfaits?
Je lui demande de vous bénir et veuillez agréer, je vous prie, cher Monsieur, mes sentiments les plus respecueux dans le Christ-Jésus.

Marie Mesmin
26, boulevard du Bouscat - Bordeaux

Bien entendu, Marie Mesmin qui ne savait ni lire ni écrire ne pouvait écrire elle-même les lettres qu'elle envoyait; elle dictait ses lettres à une secrétaire, Mademoiselle Marie Bourlet, ancienne religieuse victime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Mademoiselle Bourlet s'était donnée toute entière à l'oeuvre de Notre-Dame des Pleurs. Marie Mesmin se contentait de signer ses lettres en ajoutant: esclave de Marie. Ce sont les seuls mots qu'elle ait jamais su écrire. Cette lettre à M. Ollagnier que nous venons de citer, ainsi que toutes les autres, ont donc été écrites par Mademoiselle Bourlet, sous la dictée de Marie Mesmin.

Gilles Lameire: La Vierge en pleurs de Bordeaux, pp. 137-143

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